L'école de gestion de la production dite lean
(littéralement : « maigre », « sans gras »,
« dégraissée », parfois traduite par « gestion sans
gaspillage »1
ou par « gestion allégée » 2) recherche la
performance (en matière de productivité,
de qualité,
de délais, et enfin de coûts) par l'amélioration continue et l'élimination
des gaspillages (muda
en japonais), au nombre de sept :
·
production excessive,
·
attentes,
·
transport et manutention inutiles,
·
tâches inutiles,
·
stocks,
·
mouvements inutiles
·
production défectueuse.
L'école de gestion lean trouve ses sources
au Japon dans le Toyota Production System (TPS)3. Adaptable à
tous les secteurs économiques, le lean est actuellement principalement
implanté dans l'industrie (et surtout l'industrie automobile).
Sommaire |
Lean et le système de production de Toyota
Article principal : Système de production de Toyota.
Lean est un qualificatif donné par une
équipe de chercheurs du MIT au système de production Toyota. A l'origine le TPS a été créé par Sakichi Toyoda,
puis par son fils Kiichiro Toyoda, et enfin par son neveu Eiji Toyoda, assistés
par un ingénieur, Taiichi Ōno. Quand en 1972 après 25 ans d'efforts, le
système fut déployé depuis la fabrication des moteurs jusqu'à la fin de la
ligne d'assemblage chez Toyota, une cellule de 12 consultants internes (dont
Fujio Cho, Hajime Ohba, etc.) fut créée (l'OMCD) pour aider les fournisseurs de
Toyota à livrer des produits de qualité en juste-à-temps. Chacun de ces
consultants s'occupa d'un fournisseur principal. Ensuite Hajime Ohba fut chargé
de créer le TSSC, cellule de support pour les fournisseurs de Toyota aux
États-Unis. C'est dans cette cellule que John Shook et James (Jim) P. Womack
furent formés, selon les méthodes de Hajime Ohba. Ceci explique le fait que
certains « outils lean », tels que le MIFA, ne soient pas
connus chez Toyota, le savoir initial de Ohno s'étant perdu lors des
différentes étapes de transmission entre des personnes, et celles-ci ayant
inventé de nouveaux outils. Aujourd'hui le TSSC est une entreprise indépendante
de Toyota. De nombreux consultants américains n'ont eu comme formation que
celle du TSSC, sans pratique sur le terrain, et ont créé des cabinets qui sous
l'appellation lean sont loin des pratiques originelles du TPS.
Concepts de base
La pensée lean repose sur deux concepts
principaux : le juste-à-temps et le jidoka
(« automatisation à visage humain »). Les outils du juste-à-temps
sont :
- le temps TAKT,
- le lissage (heijunka),
- le flux continu en pièce à pièce (en anglais one-piece flow),
- le flux tiré,
- le changement rapide d'outils (SMED),
- l'intégration de la logistique.
Les outils du jidoka (peu visibles chez Toyota,
et de ce fait moins connus en dehors de l'entreprise) sont :
- la séparation de l'homme et de la machine,
- les outils d'arrêt de production au premier défaut (andon),
- les méthodes d'élimination des causes d'erreur (poka yoke),
- les méthodes d'analyse de problème (« Cinq pourquoi », roue de Deming, 8D),
- la ré-ingénierie des équipements de production.
La démarche lean est plus riche qu'une
simple méthode de production, et forme un système cohérent de concepts
complexes, articulés à une pratique originale et à des moyens de formalisation
et d'appropriation spécifiques ; c'est pourquoi on peut utiliser à son
endroit le terme d'école. Les tenants du lean s'appliquent à
l'enseigner, à l'appliquer et à répandre ses règles au sein de la communauté
industrielle. Après une première vague d'engouement dans les années 1970 et
1980 pour les « méthodes japonaises », l'école du lean s'est
formalisée aux États-Unis dans les années 1990 (le terme même lean
a été inventé au MIT en 1987) et a été
popularisée par le livre Lean Thinking 4 (1996) de
James P. Womack et Daniel T. Jones. De nombreux travaux ont suivi, parmi
lesquels Team Toyota (1996) de Terry L. Bresser et The Toyota Way
(2004) de Jeffrey K. Liker. Ces ouvrages ont permis de clarifier les concepts
et les pratiques lean, de mieux comprendre les fondements cognitifs et
sociaux sur lesquels le système repose et de multiplier les exemples et études
de cas.
On peut distinguer quatre niveaux d’analyse du
système de pensée lean : une redéfinition de la valeur produite par
une entreprise, le développement d’un schéma productif caractéristique, le
développement d'attitudes managériales originales et la formulation d’une
stratégie à long terme.
- la valeur :
- la valeur ajoutée d’une tâche contribuant à un processus doit être définie du point de vue du client ;
- l'entreprise doit assurer un écoulement sans interruption de la valeur le long de sa chaîne de production (en termes plus triviaux, on fait la « chasse aux stocks »).
- le schéma de production :
- l'entreprise produit en « tirant » sa production en fonction de la demande et non en « poussant » en fonction des capacités locales de production ;
- les tâches productives sont standardisées de manière à faciliter l'amélioration continue par suppression des tâches non créatrices de valeur ;
- l'entreprise entretient une relation partenariale riche avec ses fournisseurs et les incite à adopter ses méthodes de production ;
- l'attitude managériale :
- les managers et les travailleurs doivent trouver et éliminer les causes profondes des problèmes dès que ces derniers surviennent ;
- chaque employé est incité à réfléchir et à proposer des améliorations du système productif. Ceci débouche sur des chantiers ponctuels d'amélioration (kaizen) ;
- le management doit se dérouler « sur le terrain », car seule l'expérience directe des situations de crise permet un diagnostic efficace (genchi genbutsu) ;
- les décisions sont nécessairement adoptées par consensus ;
- la stratégie à long terme :
- l'entreprise doit privilégier les enjeux de long terme en explicitant son objectif global et en l'inscrivant de façon soutenable dans l'avenir ;
- l'entreprise doit rechercher en permanence l'excellence.
Au-delà de la gestion de la production
Gestion d'entreprise
Après avoir, ces dernières années, dépassé son
cadre initial – l'organisation de la production –, l'école lean est
aujourd'hui perçue comme une méthode pertinente pour combattre tous les types
d’inefficacité : l'intérêt pour le lean s'étend aux services
administratifs (lean office5), au
développement de produit (lean development6).
Changements induits
L'application des principes du lean,
notamment l'amélioration continue du système, impose de profonds changements
dans les organisations. La résolution des problèmes au plus près du terrain,
impliquant les opérationnels tout autant que les responsables, est un premier
changement d'envergure, tant le changement est plutôt perçu dans les grandes
organisations comme quelque chose qui suit la voie hiérarchique descendante (top-down),
où peu d'autonomie est laissée au terrain dans la prise d'initiatives.
Lean et dégradation des conditions de travail et de la santé au travail
Un rapport du Centre d'étude de l'emploi sur les
conditions de travail et la santé au travail des salariés de l'Union européenne
(recherche réalisée par la Dares, Ministère du travail), a montré le lien entre
la santé (risques psychosociaux) et les 4 formes d'organisation du travail en
Europe (organisation apprenante, organisation en lean
production, organisation taylorienne, organisation de structure simple) :
les conditions de travail et la santé au travail sont bien meilleures dans les
organisations apprenantes que dans les organisations en lean production
ou tayloriennes et souvent moins bonnes dans les organisations en lean
production que dans les organisations tayloriennes, particulièrement en
France7.
De même, un article paru dans la revue Santé
& Travail et intitulé « Toyota : Rappels à la pelle », fait
état de la dégradation des conditions de travail associée au mode
d'organisation en lean production, dégradation plus importante que dans
les entreprises à organisation apprenante ou même taylorienne8.
Il est toutefois difficile d'opposer complètement
les organisations apprenantes des organisations en lean production
puisque l'essence même du lean est fondée sur les principes de
l'organisation apprenante.
Lean et limites
Ce même article constate qu'avec l'emballement du
nombre de véhicules rappelés par Toyota en 2009-2010, le toyotisme semble avoir
atteint ses limites et la « production sans gras » a des ratés en
matière de qualité totale. Un débat sur les « contradictions entre la
qualité pour ceux qui pensent l'organisation et la qualité pour ceux qui la
font », serait opportun9.
Voir aussi
Notes et références
, sur le
site Fluid World, « une gestion sans gaspillage,
appelée aussi "lean" »).
,
traduction d'une lettre de Jim Womack mise en ligne sur le site Projet
Lean Entreprise, 8 octobre 2004.
- Littéralement « penser maigre ».
- Pour un exemple d'application dans la Banque et l'Informatique, voir : http://informatique-conviviale.eyrolles.com/ [archive]
L'informatique
Conviviale], Le Lean Management peut-il transformer l'entreprise ?
Eyrolles, 2010
- Pour un exemple de recherche sur le sujet, voir : http://www.market-insight.fr/recherche-en-management/sujet-de-memoire/article/quelques-idees-en-vrac [archive]
- Antoine Valeyre, Conditions de travail et santé au travail des salariés de l'Union européenne : des situations contrastées selon les formes d'organisation [archive]
, Centre
d'études de l'emploi, document de travail No 73, novembre 2006.
- Laurence Théry, Toyota : rappels à la pelle [archive]
, in Santé
& Travail, No 71, juillet 2010 : « Mais
en général, on ne « rappelle » pas les travailleurs exclus de
l'entreprise à cause d'un trouble musculo-squelettique ! Bien réelle aussi
est la souffrance psychique liée à ce système de production. Comment les
salariés, placés dans l'impossibilité de faire un travail de qualité,
peuvent-ils "se reconnaître" dans ces voitures, malgré leur
acharnement à bien faire ? »
- Laurence Théry, Toyota : Rappels à la pelle, op. cit. : « Toyota aurait rappelé de 8 à 9 millions de véhicules dans le monde depuis l'automne dernier. Un chiffre qui s'était élevé à "seulement" 5 millions entre 2000 et 2005. (...) Le toyotisme (...) semble avoir atteint ses limites. Le fameux principe de la lean production (littéralement "production sans gras") - zéro stock, zéro délai, qualité totale, implication des salariés dans l'amélioration de la productivité par la réduction drastique des coûts - a apparemment des ratés dans le moteur. En tout cas, pour la qualité totale, c'est maintenant une évidence: ça ne fonctionne pas… (...) Assurément, il est temps de changer de modèle, en commençant peut-être par engager un débat sur les contradictions entre la qualité pour ceux qui pensent l'organisation et la qualité pour ceux qui la font? »
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