lundi 16 janvier 2012

Pourquoi le prix du gaz augmente alors qu'il baisse

Les prix du gaz naturel sur le marché spot ont baissé en 2011, de même que ceux du baril de pétrole sur neuf mois. Et pourtant, le tarif du gaz naturel augmente encore de 4,4%. Analyse d’une formule mystère pour déterminer les hausses.

Les augmentations de tarifs du gaz restent un mystère. Bien sûr, on rétorquera qu’elles sont «transparentes» dans la mesure où elles ne sont que l’application d’une formule validée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et le gouvernement. Formule contestable toutefois, on y reviendra.
Mais dans un premier temps, on constate simplement que depuis janvier 2005, alors que l’inflation cumulée en France à fin 2011 a été de 12%, les tarifs réglementés du gaz ont augmenté de 60% pour le secteur résidentiel, et de 100% pour les professionnels (plus gros consommateurs), selon les calculs de la CRE. Des tarifs qui grimpent cinq fois plus vite que l’ensemble du coût de la vie pour les foyers: voilà qui mérite de se pencher un peu sur la question.
Certes, il s’agit d’énergie. Pire, d’hydrocarbures. Et l’on sait à quel point les prix peuvent être volatils dans ce secteur. Pourtant, les prix du gaz naturel ne sont pas soumis aux mêmes fluctuations que les produits pétroliers. Malheureusement, de façon incompréhensible, le prix du gaz a été longtemps essentiellement indexé sur celui du pétrole.
Des tarifs réglementés qui augmentent quand le prix «spot» baisse
Ce qui explique – sans les justifier – sept hausses successives en quatre ans, entre 2005 et fin 2008. Puis, une baisse début 2009… et, depuis, uniquement des hausses à nouveau. Ainsi, sur la seule année 2010, suite aux augmentations d’avril et de juillet 2010, les tarifs du gaz ont globalement été relevés de 15%!
Le mystère, c’est que l’extraction de gaz non conventionnel aux Etats-Unis –avec l’exploitation du «gaz de schiste» fournissant la moitié de la consommation américaine— a changé les termes du marché: en 2010, sur le marché spot, les prix du gaz naturel avaient baissé de 50%! Les tarifs du gaz indexés sur le pétrole devenaient totalement déconnectés des prix spot du gaz naturel.
GDF-Suez dont l’Etat détient 35% du capital, a mis en avant les contrats sur 20 ans qui le lient à ses principaux fournisseurs (le Norvégien Statoil, le Russe Gazprom ou l'Algérien Sonatrach) à des prix bien supérieurs aux prix spots, pour expliquer cette déconnexion. Malgré tout, pour le consommateur, la pilule est amère.
Une première révision a minima qui n’évacue pas les contradictions
A la demande de Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, et d’Eric Besson, ministre de l’Energie, une nouvelle formule vit le jour par un arrêté du 9 décembre 2010. Nouveauté, elle intégrait le prix spot du gaz naturel… mais à hauteur de 10% seulement du calcul global.
Trop peu pour infléchir la tendance haussière. De sorte que, pour la première entrée en application de cette nouvelle formule au 1er avril 2011, le tarif du gaz pour les ménages français a subi… une nouvelle hausse, de plus de 5%. Ah, la belle formule!
L’alchimie a continué à se produire dans le même sens. Alors que la cotation du gaz naturel sur le Forex montre une baisse d’un tiers du prix spot du gaz en 2011 (passé de l’indice 4.500 le 2 janvier à 3.000 le 30 décembre), voilà que la fameuse formule devait déclencher une nouvelle hausse des tarifs de l’ordre de 10% dès janvier 2012. Cherchez l’erreur!
Une pilule encore plus difficile à faire passer dans la mesure où, depuis la dernière augmentation d’avril 2011, le prix du baril de pétrole a aussi reculé: de 7,5% pour le WTI parvenu à 100 dollars le baril fin décembre  et de 11% pour le Brent à 107 dollars, deux éléments de la fameuse formule). Mystère…
En plus, à l’approche d’une élection présidentielle, une augmentation à deux chiffres aurait pu avoir des conséquences très lourdes pour la majorité au pouvoir. D’ailleurs, le gouvernement avait tenté, fin septembre dernier, de geler les prix du gaz. Mais le Conseil d’Etat, fin novembre, désavouait le gouvernement et suspendait l’application du gel.
Une deuxième révision et nouvelles ambiguïtés
Pour contenir la hausse en dessous de 5%, François Fillon fit modifier la fameuse règle de calcul. Les experts d’Eric Besson à l’Energie reprirent les préconisations de la Commission de régulation de l’énergie qui, en octobre 2011, avait suggéré qu’«une augmentation de la pondération du prix de marché du gaz dans la formule tarifaire à 30% permettrait de parvenir à une formule plus représentative du portefeuille d’approvisionnements de GDF Suez».
En clair, de 10% dans la formule de décembre 2010, la pondération du prix spot du gaz passait à 30% dans la formule de décembre 2011. Pour une hausse du tarif du gaz, appliquée au 1er janvier 2012, de 4,4%.
Comment justifier une formule à géométrie variable, qui ne sert que les fournisseurs de gaz naturel dans la mesure où elle n’intègre que très partiellement les baisses du prix de marché du gaz? Que valent ces justifications puisque, validée fin 2010, la formule n’a plus été jugée pertinente seulement un an plus tard? Comment même émettre des justifications puisque, alors que les prix du pétrole et du  gaz naturel ont baissé depuis la dernière augmentation d’avril  2011, le tarif pour le consommateur français continue d’augmenter? 
Les professionnels du secteur ont beau souligner que les tarifs français du gaz se situent globalement dans la moyenne européenne et qu’il faut tenir compte du coût de la maintenance du réseau, on aimerait comprendre la gymnastique qui pourrait expliquer ces mouvements à la hausse.
La libéralisation du secteur, l’introduction de la concurrence et la privatisation de Gdf devaient tirer les prix à la baisse. C’est l’inverse qui se produit, sans que l’évolution des prix des matières premières énergétiques ne l’explique. Un beau cas d’école de «transparence».
Gilles Bridier
Faire ce que l'on veut ou bien vouloir ce que l'on fait