La promesse du candidat est très bien accueillie
Nicolas Sarkozy a promis durant sa campagne électorale de supprimer les droits de succession en arguant du fait que ceux-ci était injustes et qu'il était normal de laisser ses biens à sa famille :
Je voudrais exonérer de droits de succession et de droits de donation 95 % des Français. (…) Quand on a travaillé dur toute sa vie, qu’est-ce qui donne du sens à la vie ? C’est de faire que ses enfants commencent un peu plus haut que soi-même on a commencé. Eh bien, je ne vois pas pourquoi on devrait payer des impôts sur les successions ou sur les donations.
(Nicolas Sarkozy)
Cette promesse avait a fait mouche : 69 % des français se sont déclarés favorables à la suppression de cette taxe (cf. Le Monde). Mais ont-ils une réelle connaissance du système fiscal français ? Revenons un peu sur le raisonnement de la majorité des personnes, sur la réalité du terrain et sur les avantages ou inconvénients de cette taxe.
Un impôt qui semble injuste...
Pour tout parent, il apparaît comme étant normal et légitime de vouloir que ce qu'on a acquis durant sa vie revienne à ses enfants. Qui a en effet envie que la maison de famille soit revendue à des inconnus ? Qui ne voudrait pas que ses enfants bénéficient d'un coup de pouce grâce à ses biens ? Comme le dit notre Président, on a tous envie de donner le fruit d'une vie de labeur à nos enfants !
Je pense que c'est ce raisonnement que fait une très grande majorité des français qui souhaite la suppression des droits de succession.
... mais un impôt profondément libéral !
Dans le modèle économique libéral, chacun doit être rétribué en fonction de son travail (le fameux travailler plus pour gagner plus). Or, qu'est ce qu'un héritage ? Il s'agit d'un don intergénérationnel : les enfants touchent non pas un capital correspondant à leur capacité à entreprendre ou travailler, mais un capital correspondant au travail effectué par leurs ancêtres.
En soit, cela n'a rien de choquant, sauf que cela se fait automatiquement au détriment de ceux qui travaillent durs et qui n'ont pas la chance d'être nés dans une famille ayant beaucoup de biens. Les droits de succession permettent une redistribution des richesses. En effet, ce qui est perçu par l'Etat ne disparaît pas, tout (enfin, presque) est ensuite redistribué à la population de manière indirecte (écoles gratuites, santé peu coûteuse, routes entretenues, énergie accessible, etc etc).
Supprimer l'impôt sur les successions creuserait, dans ces conditions, les écarts de fortune. Or, depuis un siècle, en France comme aux Etats-Unis, il sert non seulement à remplir les caisses de l'Etat mais surtout à redistribuer un peu les cartes sociales au moment d'un décès. D'ailleurs, il s'impose dès 1901 comme la première taxe progressive en France (plus la somme est élevée, plus le taux de prélèvement est élevé), avant l'impôt sur le revenu (1914). « La suppression des droits de succession substituerait la culture de la rente à celle du travail. Un incroyable retour au passé au bénéfice des plus aisés », s'emporte Didier Migaud, député PS de l'Isère.
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Plus surprenant, aux Etats-Unis, ce sont les riches qui se dressent contre l'abolition [des droits de succession]. Dès 2001, une centaine de milliardaires, dont George Soros, Warren Buffett, les héritiers Rockefeller ou encore le père de Bill Gates, pressaient George Bush de continuer à prélever l'impôt sur les successions. Derrière ce cocasse « Please tax me », un message plus sérieux : l'Amérique encourage l'enrichissement... mais en vertu du talent, non du lien héréditaire.
(L'Expension)
Bref, les héritages sont totalement contraires à la théorie libérale et capitaliste car favorisant la création de riches familles qui se partagent les biens en laissant ainsi moins de chance aux autres familles de s'enrichir. Cela ne vous rappelle pas les riches familles de nobles de l'ancien temps ? Etonnant que ce soit les milliardaires américains qui s'y opposent et non pas les personnes d'origines plus modestes.
En tant que parent, tout le monde veut évidement laisser ses biens à ses enfants. Mais en tant qu'enfant, qui attend sur la mort de ses parents et sur l'héritage pour espérer vivre mieux ??? Sûrement pas les familles modestes...
Mais moi, je ne suis pas riche et j'ai peur de ne rien pouvoir laisser à mes enfants !
Voici une phrase qu'on entend souvent, mais qui est souvent une crainte injustifiée. En effet, voici ce que l'Expension nous apprend :
Selon la Direction générale des impôts (DGI), en 2005, 41 % des successions ont donné lieu à paiements de droits. Soit, tout de même, 145 000 familles sur une seule année. Mais, à y regarder de plus près, tous les ayants droit ne tireraient pas le même bénéfice de l'abolition des droits de succession. D'après une étude très fouillée réalisée par le ministère des Finances en 2000, les plus beaux héritages (les 10 % les plus élevés) représentaient 46 % des transmissions pour un montant moyen de 530 000 euros. Les successions laissées par les fameuses classes moyennes tournent, elles, seulement autour de 56 000 euros.
L'héritage des classes moyennes ne serait donc en moyenne que de 56 000 euros en France. Or, à ce niveau là, on ne paye pas de droits de succession du tout !
En effet, comme nous l'apprennent les services de l'Etat, en cas de succession, le conjoint bénéficie d'un abattement de 76 000 € sur sa part et les enfants bénéficient de 50 000 € d'abattement.
Quelques exemples pratiques :
  • une famille de deux enfants et sans petits enfants dont le père venait à mourir ne serait taxée qu'à partir du 176 001 ème €. On est bien au dessus de l'héritage moyen de 56 000 € !!!!
  • pour une famille de deux enfants et quatre petits-enfants, 440 000 euros pourront ainsi être défiscalisés
  • pour une famille avec deux enfants et six petits enfants, cela monte à 560 000 euros !!!
Est-ce que beaucoup d'entre nous ont un capital atteignant le demi million d'euros ? Je ne le crois pas... (Surtout si on tient compte de l'abattement supplémentaire de 20% sur le logement principal).
Grâce à ces abattements, les successions entre époux et en ligne directe (parents-enfants) ne sont que rarement taxées :
90 % des transmissions entre époux et 80 % de celles en ligne directe ne sont pas imposées
(« Rapport sur le projet de loi de finances 2005 », tome 2, Assemblée nationale, octobre 2004.)
Henri Sterdyniak, directeur de département à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), confirme d'ailleurs qu'il n'y aura que peu de personnes touchées par cet avantage contrairement à ce que les gens pensent (cf. son interview accordé au Monde) :
Pour la réduction des droits de succession, le nombre de bénéficiaires chaque année, sera de l'ordre de 100 000. Mais beaucoup de personnes se ressentent comme des "bénéficiaires potentiels", parce qu'ils n'ont pas conscience que de toute façon, leur patrimoine est trop faible pour payer des droits de succession.
Cette suppression, ou du moins restriction, des droits de succession ne serait donc favorable qu'à une très petite partie de la population : les plus riches !
On confond souvent droits de succession et frais de notaire
Je pense qu'une grande partie des gens confondent droits de succession et frais de notaire. En effet, lors de toute succession, il convient payer au notaire (enfin, surtout en grande partie à l'Etat via le notaire) des droits d'enregistrement. Notre nouveau Président ne veut pas supprimer ces droits d'enregistrement, qui eux touchent tout le monde, riches comme pauvres, mais uniquement les droits de succession.
Un énorme manque à gagner
Les droits de succession rapportent à l'Etat plus de 7 milliards d'euros par an. La réduction de ces droits telle qu'elle se profile ferait un manque à gagner de 5 milliards. 5 milliards, c'est de quoi par exemple construire 42 000 logements sociaux par an et loger 170 000 personnes, ou multiplier par 8 le budget des zones d’éducation prioritaires…
Surtout que les droits de succession sont appelés à s'accroître dans les années à venir comme nous le rappelle encore l'Expension :
En 2006, les percepteurs pourraient récolter 7,3 milliards d'euros, une manne presque deux fois plus élevée qu'en 1994, gonflée notamment par la hausse de l'immobilier ! Mais, pour le fisc, le meilleur reste à venir, avec les bataillons de couples partant à la retraite, de plus en plus souvent avec une double pension et un bas de laine bien rempli. La perspective de prendre une part sur leur succession fait saliver le ministre des Finances.
Pour comparaison, l'ISF rapporte à l'Etat un peu plus de 3 milliards d'euros. Il s'agit donc d'un gros cadeau fait aux riches, beaucoup plus important que la suppression de l'ISF (qui va être supprimé de fait par le bouclier fiscal, mais nous y reviendrons un autre jour).
Autant je comprends qu'en tant que parent on veuille laisser le plus possible à ses enfants, autant je me rends compte que les droits de succession sont profondément justes et que leur réduction ne fera qu'aider les plus riches d'entre nous. Après tout, il faut bien que Johnny ait une bonne raison de revenir...
Pour aller plus loin :
Droits de succession: Les pièges de l'abolition (L'Expansion)
Les Droits de Succession (Quid)
Calcul des droits de succession et de donation (Service-Public.fr)
Faut-il réduire encore les droits de succession ? (Alternatives Economiques)
Comment calculer les droits de succession (Les Echos)
Fiscalité : le gouvernement met en œuvre "un programme de redistribution vers les plus riches" (Le Monde)
La suppression des droits de succession (Blog de Droite et Anti-Sarkozy)
Sarkozy et les droits de succession (Blog "Europe, Socialisme, Economie et d'autres choses")
Liste des cadeaux aux très riches de notre nouveau président
Les ménages aisés, seuls bénéficiaires d'une réforme des droits de succession (Le Monde)