mercredi 28 avril 2010

Finance: les politiques nous mènent en bateau. C'est un trader qui le dit

La crise n'a rien changé au travail — et aux bonus — des traders. Ce qui est déjà énervant. Mais quand l'un d'entre eux explique sans ciller que les dirigeants politiques sont à la fois impuissants et inféodés à la finance mondiale, on a de quoi être glacé. C'est ce qui est arrivé à SuperNo.

Marc Fiorentino est trader, et fier de l’être. J’avais déjà parlé de lui, et pas en bien, ici.

Mais on doit au moins lui reconnaître deux choses : d’abord ne pas varier dans ses déclarations, puisqu’il affirmait déjà il y a un an que rien n’avait changé dans la finance mondiale; et de ne pas pratiquer la langue de bois lorsqu’il est devant un micro.

La preuve hier midi, chez Bernard Thomasson sur France Info. Il était invité à parler de Goldman Sachs, la plus célèbre des banques d’affaires de Wall Street. Elle est visée par un nouveau scandale, après avoir été montrée du doigt en Europe pour avoir poussé la Grèce au surendettement (avant accessoirement de spéculer sur sa chute), Goldman Sachs est désormais traînée en justice aux Etats-Unis pour avoir conseillé à des pigeons clients d’investir dans des produits financiers pourris, tandis qu’ils recommandaient à un autre client plus lucratif, un hedge fund, de spéculer à la baisse sur ce même produit.

Fiorentino commence par dédouaner d’une certaine manière Goldman Sachs, arguant du fait que son comportement, pour scandaleux qu’il soit, n’a rien de très différent de celui de ses concurrents. En gros, tout le monde fait la même chose, dans le même but : le maximum de profits dans le minimum du temps, la fin justifiant les moyens.

L’ensemble de l’interview est intéressante, mais à partir de 8mn45 environ, ça devient grandiose. Voici la retranscription intégrale de la fin.

Bernard Thomasson : «Quel avenir pour Goldman Sachs, il y a un risque réel, pour eux ?»

Marc Fiorentino : «Non, aucun, je pense qu’on va se retrouver dans une… On est dans la commedia dell’arte, hein, on est dans le grand guignol, là, tout le monde va hurler, tout le monde va pousser des cris, d’ailleurs je…»

Bernard Thomasson : «C’est pas très rassurant, ce que vous dites, parce que le G20 nous dit on va…»

Marc Fiorentino : «C’est ce que j’allais vous dire, le G20 nous dit ça depuis deux ans, je voudrais vous demander …»

Bernard Thomasson : «C’est peut-être long à mettre en place, non ?»

Marc Fiorentino : «Je voudrais vous demander ce qui a été fait depuis deux ans. On nous a dit : «on va lutter contre les hedge funds», la semaine dernière les chiffres sont parus sur les hedge funds, ils n’ont jamais autant collecté d’argent que cette année, ils sont proches de leurs records. «On va lutter contre les bonus», l’année dernière a été l’année record pour les bonus. «On va lutter contre les paradis fiscaux» : ils sont toujours là, ils sont juste passés de noir à gris puis de gris à blanc, on ne sait pas par quel miracle. «Et on va lutter pour la réglementation financière», et on vient d’assister au G20 finance ce week-end, et à la sortie du G20 finance, quel a été le communiqué ? Le communiqué a été de dire : on ne s’est mis d’accord sur rien, parce que notamment le Japon, le Canada, et l’Australie ont dit : aucune réglementation financière.»

Bernard Thomasson : «Donc les politiques nous mentent.»

Marc Fiorentino : «Les politiques nous mentent, les politiques nous abreuvent d’histoires. On a vu combien de G20, combien de déclarations d’Obama depuis qu’il est là en disant : “Attention Wall Street, tremblez, voilà, j’arrive” ? Il avait dit ça, c’était son premier discours dès qu’il avait été intronisé, il avait dit qu’il lutterait contre les bonus, et il se trouve que les bonus ont été les plus élevés»

Bernard Thomasson : «Imaginez ce que pensent les gens qui nous entendent en ce moment, ils vont se dire, mais qu’est-ce qu’il faut faire, il faut faire la révolution, il faut aller brûler des banques, faut… ?»

Marc Fiorentino : «Je suis toujours assez surpris de voir que finalement il n’y a jamais de manifestations devant les banques, je trouve ça assez étonnant.»

Bernard Thomasson : «Voilà, Marc Fiorentino, moi je suis surpris de vos propos, vous qui avez dirigé des banques américaines en Europe…»

Voilà. Et c’est un expert de la finance qui le dit. Les politiques nous mentent, les politiques sont des escrocs, les politiques ne sont là que pour mettre en place ce que les dogmes du libéralisme prévoient.

La crise financière, provoquée par la cupidité insatiable des banksters, ce sont les contribuables, les électeurs ordinaires, qui vont la payer, trois fois : une première fois en cash, pour boucher les trous en urgence. Une deuxième fois par la crise économique qui en découle. Et une troisième fois par le sabotage de ses services publics et sociaux “nécessaire” pour résorber le déficit creusé par la “crise”. Et pendant le déroulement du hold-up, les Sarkozy, les Lagarde et les Woerth monopolisent l’antenne pour expliquer que l’affaire est sous contrôle et qu’ils travaillent dans l’intérêt des gens.

Dans un pays comme la Grèce, le phénomène est très accéléré. La stupidité et la cupidité de ses dirigeants, conseillés par Goldman Sachs, a poussé le pays à la faillite. Sous prétexte de résorber le déficit budgétaire, les “Grecs d’en bas”, qui n’y sont pour rien, vont devoir payer de leurs salaires, de leurs retraites, de leurs services publics, le fruit des malversations de leurs dirigeants et des banksters.

De même la raison principale du sabotage programmé des retraites françaises n’est pas la démographie ou autres foutaises dont on nous abreuve pour faire passer la pilule, c’est la volonté de ne pas déplaire aux marchés financiers et en particulier aux agences de notation (dont l’incompétence, la corruption et la responsabilité dans la crise sont notoires) afin de continuer à pouvoir emprunter de l’argent à un taux bas.

Fiorentino l’a dit clairement, les Obama, les Sarkozy, ont brassé de l’air à grand moulinets, mais ils n’ont strictement rien changé ! Ils n’en avaient d’ailleurs aucune envie, leur seul but était de détourner l’attention des électeurs. La situation des financiers est strictement la même qu’avant la crise, leurs objectifs et leurs moyens sont strictement les mêmes. Et ce sont toujours eux qui dictent leur loi au reste du monde.

L’objectif reste à la croissance et au crédit infinis.

Et tout le monde s’en fout.

Nos politiques ? Les rois de l’enfumage et de la diversion : pendant qu’ils couvrent les agissements des banksters, et aiguisent en douce leurs couteaux contre les retraites, ils viennent de lancer, suivis en masse par l’ensemble de la presse, un débat psychédélique : «peut-on conduire avec une burqa ?» Ou alors, variante : «peut-on aller aux putes quand on est dans l’équipe de France de foot ?»

Certes, l’histoire les jugera. Mais en attendant, sommes-nous si cons que ça ? En Grèce, la révolte gronde. Un peu. Allons-nous attendre sagement que notre tour vienne ? Attendre passivement la prochaine «crise» ? Allons nous remplacer Sarkozy par DSK, qui est peut-être encore pire ? A quand, sinon la révolution, du moins, pour commencer, la première manifestation devant une banque ?

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