Les prix du gaz naturel sur le marché spot ont baissé en 2011, de même que ceux du baril de pétrole sur neuf mois. Et pourtant, le tarif du gaz naturel augmente encore de 4,4%. Analyse d’une formule mystère pour déterminer les hausses.
Les augmentations de tarifs du gaz restent un mystère.
Bien sûr, on rétorquera qu’elles sont «transparentes» dans la mesure où elles
ne sont que l’application d’une formule validée par la Commission de régulation
de l’énergie (CRE) et le gouvernement. Formule contestable toutefois, on y
reviendra.
Mais dans un premier temps, on constate simplement que
depuis janvier 2005, alors que l’inflation cumulée en France à fin 2011 a été de 12%,
les tarifs réglementés du gaz ont augmenté de 60% pour le secteur résidentiel,
et de 100% pour les professionnels (plus gros consommateurs), selon les calculs de la CRE. Des tarifs qui
grimpent cinq fois plus vite que l’ensemble du coût de la vie pour les foyers:
voilà qui mérite de se pencher un peu sur la question.
Certes, il s’agit d’énergie. Pire, d’hydrocarbures. Et
l’on sait à quel point les prix peuvent être volatils dans ce secteur.
Pourtant, les prix du gaz naturel ne sont pas soumis aux mêmes fluctuations que
les produits pétroliers. Malheureusement, de façon incompréhensible, le prix du
gaz a été longtemps essentiellement indexé sur celui du pétrole.
Des tarifs réglementés qui
augmentent quand le prix «spot» baisse
Ce qui explique – sans les justifier – sept hausses
successives en quatre ans, entre 2005 et fin 2008. Puis, une baisse début 2009…
et, depuis, uniquement des hausses à nouveau. Ainsi, sur la seule année 2010,
suite aux augmentations d’avril et de juillet 2010, les tarifs du gaz ont
globalement été relevés de 15%!
Le mystère, c’est que l’extraction de gaz non
conventionnel aux Etats-Unis –avec l’exploitation du «gaz de schiste»
fournissant la moitié de la consommation américaine— a changé les termes du
marché: en 2010, sur le marché spot, les prix du gaz naturel avaient baissé de
50%! Les tarifs du gaz indexés sur le pétrole devenaient totalement déconnectés des prix spot du gaz
naturel.
GDF-Suez dont l’Etat détient 35% du capital, a mis en
avant les contrats sur 20 ans qui le lient à ses principaux fournisseurs (le
Norvégien Statoil, le Russe Gazprom ou l'Algérien Sonatrach) à des prix bien
supérieurs aux prix spots, pour expliquer cette déconnexion. Malgré tout, pour
le consommateur, la pilule est amère.
Une première révision a minima qui
n’évacue pas les contradictions
A la demande de Christine Lagarde, alors ministre de
l’Economie, et d’Eric Besson, ministre de l’Energie, une
nouvelle formule vit le jour par un arrêté du 9 décembre 2010. Nouveauté, elle
intégrait le prix spot du gaz naturel… mais à hauteur de 10% seulement du calcul global.
Trop peu pour infléchir la tendance haussière. De
sorte que, pour la première entrée en application de cette nouvelle formule au
1er avril 2011, le tarif du gaz pour les ménages français a subi… une nouvelle
hausse, de plus de 5%. Ah, la belle formule!
L’alchimie a continué à se produire dans le même sens.
Alors que la cotation du gaz naturel sur le Forex montre une baisse d’un tiers
du prix spot du gaz en 2011 (passé de l’indice 4.500 le 2 janvier à 3.000 le 30
décembre), voilà que la fameuse formule devait déclencher une nouvelle hausse
des tarifs de l’ordre de 10% dès janvier 2012. Cherchez l’erreur!
Une pilule encore plus difficile à faire passer dans
la mesure où, depuis la dernière augmentation d’avril 2011, le prix du baril de
pétrole a aussi reculé: de 7,5% pour le WTI parvenu à 100 dollars le
baril fin décembre et de 11% pour le Brent à 107 dollars, deux éléments
de la fameuse formule). Mystère…
En plus, à l’approche d’une élection présidentielle,
une augmentation à deux chiffres aurait pu avoir des conséquences très lourdes
pour la majorité au pouvoir. D’ailleurs, le gouvernement avait tenté, fin
septembre dernier, de geler les prix du gaz. Mais le Conseil d’Etat, fin
novembre, désavouait le gouvernement et suspendait
l’application du gel.
Une deuxième révision et nouvelles
ambiguïtés
Pour contenir la hausse en dessous de 5%, François Fillon fit modifier la fameuse
règle de calcul. Les experts d’Eric Besson à l’Energie reprirent les préconisations de la Commission de régulation de
l’énergie qui, en octobre 2011, avait suggéré qu’«une
augmentation de la pondération du prix de marché du gaz dans la formule
tarifaire à 30% permettrait de parvenir à une formule plus représentative du
portefeuille d’approvisionnements de GDF Suez».
En clair, de 10% dans la formule de décembre 2010, la
pondération du prix spot du gaz passait à 30% dans la formule de décembre 2011.
Pour une hausse du tarif du gaz, appliquée au 1er
janvier 2012, de 4,4%.
Comment justifier une formule à géométrie variable,
qui ne sert que les fournisseurs de gaz naturel dans la mesure où elle
n’intègre que très partiellement les baisses du prix de marché du gaz? Que
valent ces justifications puisque, validée fin 2010, la formule n’a plus été
jugée pertinente seulement un an plus tard? Comment même émettre des
justifications puisque, alors que les prix du pétrole et du gaz naturel
ont baissé depuis la dernière augmentation d’avril 2011, le tarif pour le
consommateur français continue d’augmenter?
Les professionnels du secteur ont beau souligner que
les tarifs français du gaz se situent globalement dans la moyenne européenne et
qu’il faut tenir compte du coût de la maintenance du réseau, on aimerait
comprendre la gymnastique qui pourrait expliquer ces mouvements à la hausse.
La libéralisation du secteur, l’introduction de la
concurrence et la privatisation de Gdf devaient tirer les prix à la baisse.
C’est l’inverse qui se produit, sans que l’évolution des prix des matières
premières énergétiques ne l’explique. Un beau cas d’école de «transparence».
Gilles Bridier
Article Original : http://www.slate.fr/story/48225/prix-gaz
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