Capitalisme, économie de marché et libéralisme, voici trois termes qui sont devenus quasi synonymes aux yeux du public. Or il n’y a pas de rapport immédiat entre les trois. Le capitalisme est un système de répartition du surplus économique (la « croissance ») entre les trois grands groupes que constituent les salariés, les industriels et les investisseurs ou « capitalistes » parce qu’ils procurent le capital dont les deux autres groupes ont besoin pour assurer la production de leur industrie ou la consommation de leur ménage. L’économie de marché est elle le système qui assure la distribution des marchandises du producteur au consommateur, assurant au passage un profit au marchand. Le libéralisme est quant à lui une politique visant à optimiser le rapport entre les libertés individuelles et l’intervention de l’État dans les affaires humaines en vue de protéger ces libertés ; dans la pratique, partant d’une intervention de l’État a priori postulée comme excessive, l’atteinte de cet optimum consiste à réduire cette intervention autant que faire se peut.
Qu’est-ce qui explique alors que ces trois termes se soient trouvés rassemblés dans l’esprit du public comme trois manières équivalentes, chacune aussi bonne que les deux autres, pour décrire notre régime économique ? Ce qui l’explique, c’est le fait que ces trois ingrédients se sont trouvés combinés pour engendrer, dans une certaine configuration, la crise profonde qui débuta en 2007.
Premièrement, le capitalisme est un système de partage du surplus a priori déséquilibré : livré à lui-même, il débouche inéluctablement à terme sur la surproduction parce qu’il fait que, de manière tendancielle, des sommes de plus en plus grandes se libèrent qui peuvent servir d’avances dans le processus de production tandis que se restreignent en parallèle les sommes qui peuvent être consacrées elles à la consommation. En temps ordinaire, l’État est à même d’intervenir par une politique fiscale pour contenir cette tendance ; en temps de crise, quand la surproduction devient trop massive, l’État intervient d’une autre manière en combattant par des mesures de relance la récession qui en a découlé.
Deuxièmement, l’économie de marché est elle aussi a priori déséquilibrée : quand elle est livrée à elle-même, les marchands les plus talentueux – certains diront : « les plus chanceux » – éliminent les autres et ceux qui surnagent augmentent leur marge de profit jusqu’à ce que le prix des marchandises dépasse la capacité des consommateurs à les acheter. En réponse à ceci, l’État se voit forcé d’imposer un degré de concurrence entre marchands tel que le profit se stabilise à un niveau où le prix des marchandises n’est pas hors d’atteinte pour les consommateurs.
Troisièmement, le libéralisme visant à réduire l’intervention de l’État au niveau qui produira un optimum entre exercice des libertés et protection collective de celles-ci, il vient toujours un moment où la dérégulation – dont les effets liés n’apparaissent pas immédiatement en raison d’une certaine inertie dans le fonctionnement des institutions économiques – dépasse son objectif, permettant aux tendances au déséquilibre du capitalisme d’une part et de l’économie de marché d’autre part, de se manifester pleinement.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
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