Sans gêne. Aujourd'hui, 20% des gènes humains sont brevetés, aux Etats-Unis, en Australie et en Europe, notamment. Situation ubuesque d'une société qui s'étouffe elle-même en brevetant le vivant, tout en se l'interdisant... Une plainte a été déposée par des centaines d'associations américaines regroupant plus de 150 000 personnes.
Depuis les années 80, des entreprises demandent - et obtiennent - régulièrement des brevets sur des gènes humains. C'est le cas aux Etats-Unis et en Australie, entre autres. Pourtant, la loi y interdit très clairement tout de breveter toute chose naturelle, alors comment est-ce possible ? Simple... Prenez un antibiotique naturellement sécrété par un champignon, par exemple. Synthétisez-le en laboratoire et brevetez sa forme purifiée, impossible à trouver dans la nature. Le tour est joué et le brevet vous tend les bras.
Des brevets qui tuent
Concernant les gènes, la manip' n'est guère plus subtile : isolez un gène commun, non brevetable en l'état. Qu'à cela ne tienne, faites le très légèrement muter en laboratoire. Ensuite, complétez cette "invention" d'un test de détection spécifique... qui pourra aussi être utilisé sur le gène original. Dès lors, les brevets portant sur le gène synthétique et sur les méthodes de diagnostic engloberont le gène humain "naturel".
Aujourd'hui, le très officiel National Institute of Health estime que 20% des gènes humains sont ainsi brevetés ! Et des enfants en danger de mort se retrouvent privés de traitement, comme c'est arrivé récemment en Australie... Pour Lee Silver, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Princeton, interviewé par CNN, la seule solution serait de décréter le caractère "sacré" du génome humain. Mais cela n'y suffirait pas, l'homme partageant à peu près 25% de son capital génétique avec les chimpanzés, le problème ne serait finalement que repoussé, indéfiniment. Totalement insoluble.
Une plainte déposée pour anticonstitutionnalité
L'American Civil Liberties Union (ACLU), la Fondation des Brevets Publics et des centaines d'associations américaines représentant plus de 150 000 personnes, ont pourtant décidé de porter l'affaire en Justice. Estimant que les brevets accordés sur un gène (BRCA) impliqué dans les cancers du sein et des ovaires sont illégaux, qu'ils entravent la recherche scientifique et limitent les possibilités de traitement pour les malades, ces organisations en appellent à la Constitution. Une première. Le 12 mai, une plainte a été déposée à la Cour de New-York contre les détenteurs des brevets, l'entreprise Myriad Genetics et l'Université de Utah Research Foundation, ainsi que contre l'organisme public charger d'attribuer les breloques.
Aujourd'hui, Myriad Genetics détient le monopole sur le test de diagnostic d'un cancer, facturé 3000$ par tête de gène. Il y a fort à parier qu'en situation de concurrence, ce prix serait réduit de moitié, au minimum. Les problèmes engendrés par cette situation sont multiples : coût exorbitant pour des examens rarement remboursés, impossiblité d'obtenir plusieurs avis sur les résultats des tests et lorsque ces derniers ne sont pas concluants, aucune autre solution n'est possible.
Un HADOPI pour les gènes
Et en Europe ? En 2004, après deux ans et demi de bataille juridique menée par l'Institut Curie et l'APHP, l'Office européen des brevets (OEB) avait retoqué le brevet magique de Myriad Genetics sur le BRCA... pour finalement le rétablir en novembre 2008. Définitivement, puisque l'OEB a souligné dans son jugement que le "brevet ne peut plus être contesté au niveau européen". Myriad Genetics et l'Université de l'Utah peuvent donc maintenant attaquer pour contrefaçon les laboratoires pratiquant des tests sans s'acquitter des droits liés aux licences d'exploitation exclusives.
Myriad Genetics a annoncé, début mai, avoir battu son record de bénéfices. C'est bien ça, l'important...
(Article publié sur le site "Les mots ont un sens")
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