dimanche 23 janvier 2011

Les 35 heures ont-elles nui à la compétitivité de la France?


Les 35 heures agitent de nouveau la scène politique et économique. Un rapport remis au ministre de l'Industrie Eric Besson pointe leur rôle dans le décrochage de compétitivité entre la France et l'Allemagne. Les clés du débat. 

Le débat sur les 35 heures, qui agite la scène politique depuis le début de l'année, prend aujourd'hui une dimension économique. La baisse de la durée légale du travail serait l'une des principales causes du décrochage compétitif de la France face à l'Allemagne depuis dix ans, constate un rapport de Coe-Rexecode. Laurence Parisot fait le même constat: "Ne pas voir que la durée du travail a eu, et a toujours un effet sur la compétitivité dans notre pays, c'est vraiment refuser de voir la réalité en face", a lancé mardi la présidente du Medef. Vrai ou faux?

Quel rapport entre les 35 heures et la compétitivité de la France?
Coe-Rexecode situe la rupture entre la France et l'Allemagne au début des années 2000. C'est à cette époque que les 35 heures sont entrées en vigueur. Et c'est à cette époque que le poids des exportations tricolores dans le total des exportations des pays de la zone euro a commencé à chuter, passant de 17% en 1998 à 13,1% en 2010. "Au début des années 2000, l'Allemagne a mis en place une stratégie de compétitivité forte basée sur la maîtrise des finances publiques, une flexibilisation du marché du travail et une politique de modération salariale, explique Michel Didier, président de l'institut d'études économiques de tendance libérale. Au même moment, la France a imposé une réduction forte et uniforme de la durée du travail par la loi. Les 35 heures ont fait peser une contrainte quantitative forte sur la production des entreprises françaises". "Alors que la croissance mondiale a connu entre 1999 et 2007 une phase de croissance très forte, avec notamment l'arrivée de la Chine sur le marché de l'offre mais aussi de la demande, la France a choisi avec les 35 heures de brider son offre en baissant sa production", renchérit Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique.
Les Français travaillent-ils vraiment moins que les Allemands?
L'entrée en vigueur des lois Aubry a eu un effet immédiat sur la durée effective du travail des Français: la durée du travail hebdomadaire théorique des salariés est passée de 38,4 heures en 1998 à 35,9 heures en 2006. Néanmoins, l'annualisation du temps de travail et le recours aux heures supplémentaires ont lissé cet effet. Selon Eurostat, en 2009, un salarié français à temps complet travaillait 39,4 heures par semaine. C'est 1 heure et 12 minutes de moins qu'un salarié allemand. Pourtant, selon les statistiques de l'OCDE, les Français travaillent 1554 heures dans l'année, contre 1390 pour les Allemands. Donc plus. Le fait est que l'Allemagne n'a pas réduit le temps de travail des salariés à temps plein mais a massivement développé le temps partiel. Ce qui explique aujourd'hui la relative résistance de son marché de l'emploi. Selon l'OCDE, 22% des salariés allemands travaillent à temps partiel, contre 13% des salariés Français. "Tous les pays développés ont connu dans la période récente une baisse du temps de travail, souligne Olivier Ferrand, président de Terra Nova. En dix ans, le temps de travail annuel moyen a diminué de 135 heures en France. En Allemagne également."
Sont-ils moins productifs?
Au contraire. Selon l'OCDE, la productivité horaire d'un salarié français était de 53,2 dollars en 2008, contre 50,5 dollars pour un salarié allemand. Même constat avec les données d'Eurostat : la productivité de la main d'oeuvre par personne occupée est de 121 en France (sur une base moyenne des 27 pays de l'UE équivalente à 100), de 105 en Allemagne. "Même si la productivité horaire en France est parmi les plus élevées au monde, elle a baissé ces dix dernières années, a déclaré hier Laurence Parisot, ajoutant qu'il n'y a "pas eu de compensation de l'effet 35h par une augmentation de la productivité". Faux. La productivité horaire du travail en France a augmenté de 1,34% entre 2001 et 2008, selon l'OCDE. Certes, cette hausse est moins forte que sur la période 1995-2000 (+2,13%), mais ce décrochage de 0,47 point est moins fort qu'en Allemagne. Outre-Rhin, la productivité horaire du travail a crû de 1,17% entre 2001 et 2008, contre +2,01% entre 1995 et 2000.
Mais ils coûtent plus cher?
Pour COE-Rexecode, le coût du travail est le facteur clé qui explique l'écart de compétitivité franco-allemand. Le coût horaire de main-d'oeuvre a crû d'environ 30% en France entre 2000 et 2008 contre 15% en Allemagne sur la même période. Ce coût horaire se situait, selon l'institut, à 33,2 euros fin 2009 en France, contre 30,6 euros en Allemagne. Le Medef est plus catastrophique: le coût de la main d'oeuvre serait de 37,2 euros en France au troisième trimestre 2010, contre 30,2 euros en Allemagne. 
La faute aux 35 heures?
"La mise en place des 35 heures s'est traduite par une hausse de 17% du Smic horaire brut entre 2002 et 2005", indique Michel Didier. Mais pour Olivier Ferrand, ce surcoût du passage aux 35 heures a été intégralement financé par l'Etat, via les allègements de charges sur les bas salaires. Pour les autres salariés, le passage aux 35 heures s'est traduit par une modération salariale pendant plusieurs années. Mais cette modération a été largement moins forte qu'en Allemagne : alors que le salaire annuel moyen a crû de 10,8% en France sur la période 2000-2009, il n'a progressé que de 1% outre-Rhin. En outre, l'Allemagne a choisi de déplacer une partie du financement de la protection sociale qui pesait sur le travail vers la consommation, en baissant les charges patronales et en augmentant conjointement la TVA.
La conclusion?
Les 35 heures ont peut-être participé à la détérioration récente de la compétitivité de la France face à l'Allemagne, mais ce n'est certainement pas la seule raison. Le rapport de Coe-Rexecode pointe d'ailleurs un ensemble de causes plus anciennes, structurelles, dont les effets continuent de jouer (pérennité des entreprises familiales de taille intermédiaire plus nombreuses en Allemagne ; proximité entre la recherche, l'éducation et l'industrie ; solidité financière des entreprises industrielles ; efficacité des relations sociales, etc.). Le décrochage de la France constaté depuis 10 ans est peut-être plus dû à la stratégie de compétitivité agressive mise en place par l'Allemagne. 


Article original sur http://www.lexpansion.com/economie/les-35-heures-ont-elles-nui-a-la-competitivite-de-la-france_247328.html?p=2

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