jeudi 4 juin 2009

Le marketing des pauvres

«Les pauvres n'ont presque pas d'argent.
Nous, c'est le "presque" qui nous intéresse!»
M. Sylvestre, World Company

Les fans auront reconnu les bonnes vannes de Sly, marionnette des Guignols de l'Info, qui se bidonnait joyeusement en énonçant cette vérité crue, à l'heure où les Crazy Georges défiaient la chronique en France[1].

Aujourd'hui, les pauvres représentent un marché en pleine expansion et il eut été bien étonnant que les pros de la vente ne s'y intéressent pas de nouveau. Entre les chômeurs (comptabilisés ou non), les RMIstes, les temps partiels, les intérimaires, les smicards, la France qui vit avec moins de 720€/mois représente plus de 10% de la population totale. Un chiffre effarant si l'on pense que nous parlons là de l'un des pays les plus riches du monde.

Le pouvoir du bout de plastique bleu.

L'autre jour, j'ai assisté à une AG d'actionnaires et de producteurs d'un groupe agro-alimentaire de bonne taille. En dehors des traditionnels discours sur les nécessaires efforts de restructuration des filières qui augurent de jours heureux pour bien des salariés du groupe, il y avait un intervenant sur l'épineuse question du rapport commercial entre producteurs et consommateurs. Olivier Dauvers a donc commencé à exposer la théorie de la valeur.

En dehors du fait qu'il est très bon orateur, Olivier Dauvers se présente comme un expert de la grande conso. Et l'ensemble de ce qu'il énonçait était particulièrement intéressant.

La valeur d'un produit ne se réalise qu'au stade final de la filière, lorsqu'il est consommé, c'est à dire détruit. Consommer, c'est détruire (...) Le problème, c'est que le consommateur recherche le prix le plus bas.
La valeur ajoutée de votre produit, c'est au consommateur qu'il faut l'arracher! (...) Actimel c'est l'exemple de la valeur arrachée au consommateur : Danone achète le lait au producteur 0,30€/litre et le revend avec un peu de poudre dedans à 6€/litre.

En gros ce qu'exposait l'intervenant, c'est que les producteurs devaient cesser d'entrer en guerre avec la grande distribution, car ce n'est pas à ce niveau que ce fait la valeur du produit.

Le consommateur a le pouvoir. Le problème, c'est que le consommateur est un veau : tout le monde va au même endroit faire ses courses. Le distributeur, lui, ne fait que subir la pression du consommateur qui cherche le plus bas prix.

En fait le budget global des ménages est en baisse. Pour Olivier, cela tient surtout à l'augmentation des dépenses subies : logement, transports, assurances, etc. Mais on ne peut balayer la problématique de la stagnation, voire la régression des revenus du travail ces 25 dernières années. Et l'incidence du chômage sur les revenus disponibles des ménages de prolétaires, prolétaires, dans le sens premier : qui ne dispose que des revenus de son travail.

L'alimentation est devenue la variable d'ajustement des ménages.

La 9ème révolution commerciale

Pendant un temps, on a cru que c'était la vente en ligne. Mais en fait, la vente sur Internet n'est que de la vente par correspondance s'appuyant sur une technologie de communication plus efficace. Il ne s'agit pas pour autant d'un bouleversement profond, de l'invention d'une nouvelle manière de vendre. Pour donner une idée de la révolution commerciale, il faut savoir que la huitième révolution commerciale, c'était le hard discount.

Dès qu’un circuit de distribution dominant s’embourgeoise (montée en gamme, hausse des coûts d’exploitation, des prix), une nouvelle forme de vente bouleverse le paysage en s’appuyant systématiquement sur un coup d’exploitation à chaque fois plus bas, et donc un positionnement prix à chaque fois plus agressif. En 150 ans, la distribution a connu huit révolutions : les grands magasins, les coopératives de consommateurs, le succursalisme, les magasins populaires, les supermarchés, les hypermarchés et aujourd’hui le hard-discount.[2]

Effectivement, les hard discounters sont montés au créneau lorsque les hyper sont passés de simples entrepôts climatisés à temples de la consommation de masse, avec marbre au sol, lumières d'ambiance savamment dosées, rayons thématiques, et toutes ces petites choses qui permettent de justifier la montée en puissance du ticket de caisse.
On balance les produits dans leurs cartons d'emballage, on limite au maximum le nombre de références, tout est spartiate au possible : tous ceux qui connaissent les fins de mois difficiles se sont rabattus sur le hard discount de la bouffe.
Mais déjà, le hard discount prend ses quartiers d'été : la gamme s'étoffe, les magasins sont plus en plus accueillants et imperceptiblement, le prix moyen du caddie repart à la hausse. En réaction, les géants de la grande distribution préparent l'attaque suivante : le super hard discount ou la paupérisation du rayonnage.

Déjà, on voit ces produits tout en bas des rayons : les éco+, premiers prix. Emballages minimalistes, limite repoussants, basse qualité, prix minis, souvent plus bas que chez le hard discounter du coin. Mais les grandes enseignes s'apprêtent à aller plus loin. Déjà, dans le nord de la France, des enseignes-filles sont en test : "C", enseigne paupérisée de Champion ou "Easy" pour Attac.
Lumière sale et triste, rayonnage d'étagères de bricolage pour garage, cartons éventrés, encore moins de références, de présentation et de qualité. Mammouth écrasait les prix de son temps. Les enseignes actuelles descendent dans les bas-fond. Parce que les pauvres doivent bien se nourrir et qu'ils sont suffisamment nombreux pour qu'on leur consacre ce genre d'installation. Parce qu'il semble que la pauvreté ait de l'avenir. Bref, on n'arrête pas le progrès!

Et dire qu'il a fallu tout ce temps au capitalisme libéral pour réinventer le magasin kolkhozien!

Voir le site http://blog.monolecte.fr

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